Texte publié dans 'l'Anthropologie, 1998, tome 102, n°2, pp.213-217.

Nouvelles données archéologiques sur l'histoire ancienne de la Guinée-Equatoriale

Bernard CLIST

Résumé: Nos connaissances archéologiques de l'île de Bioko illustrent une séquence céramique continue de c.AD 560 jusqu'au XIXe siècle. Dans la Province du Littoral par contre, les recherches ont été beaucoup plus sommaires. De 1968 à 1985 les recherches dans le pays ont été impossibles. Aujourd'hui, on commence à cerner la présence de communautés de l'Age du Fer dès c.AD 1200. Les villages du sud de cette province participent sans doute au Groupe d'Angondjé définit récemment au Gabon voisin daté de AD 1000-1500.

Abstract : New archaeological data on the ancient history of Equatorial Guinea. Our archaeological knowledge of Bioko island shows settlements with pottery from c.AD 560 to the XIXth century. On the other hand the Littoral Province has seen scant research. From 1968 until 1985 research was impossible in the country. Today the existence of Iron Age villages c.AD 1200 on the continent starts to unveil. The southern villages are part of the Angondjé Group from northwest Gabon which is dated to AD1000-1500.

1. Introduction

Malgré ce que l'on peut penser parfois, la Guinée-Equatoriale n'est pas une inconnue pour l'archéologie. En effet, une première lecture de la bibliographie sur ce sujet totalise déjà 22 titres spécifiquement archéologiques et quinze dates radiocarbones. Cette relative maigreur des données rend difficile la compréhension de la qualité des travaux effectués par des archéologues espagnols qui transparait cependant à la lecture des communications des années cinquante et soixante (p.ex.: Martin del Molino, 1960, 1965; Panyella, 1959; Perramon, 1968).

Sur un plan administratif et géographique, on distingue l'île de Bioko au large du Nigéria et du Cameroun, de la province du Littoral qui est bordée par le Cameroun au Nord et le Gabon au Sud (fig.1). A ces territoires, il faut ajouter les îles d'Annobon, de Corisco et d'Elobey (grande et petite). On aboutit à une surface totale de 28.051,46 km² pour une population estimée résidante sur le territoire national de 325.690 habitants (beaucoup d'équato-guinéens se sont exilés à partir de 1968 à cause de la dictature de Macias Nguéma).

Sur le plan de l'archéologie, ce sont les recherches réalisées sur des gisements de l'île de Bioko qui ont permis de restituer une séquence culturelle continue de l'occupation de cette province depuis AD 560. Une phase plus ancienne y est connue, non datée et sans céramiques On se reportera au dernier texte de A. Martin del Molino, beaucoup plus complet que ses synthèses antérieures (Martin del Molino 1989). Cependant il faut ajouter à cette synthèse les sondages effectués en 1987 qui ont permis le réexamen de la stratigraphie du site de Carboneras et l'obtention de trois nouvelles dates 14C en collaboration avec P.de Maret (Clist, 1991b et tableau 1 ci-dessous), ainsi que mes autres travaux relatifs à la Province du Littoral.

Comme A.Martin del Molino le faisait remarquer en 1989, les recherches initiées par H.R. Perramon dans la province du Littoral, premières à être exécutées sur cette partie du territoire équato-guinéen, furent brutalement interrompues par l'indépendance et la venue du régime de Macias Nguéma en Octobre 1968.

En 1985, une prospection archéologique réactiva le travail de terrain dans cette province (Clist, 1987). Des sondages étaient réalisés sur les gisements les plus intéressants avec des prélèvements pour des datations 14C à Akom et à Ayene. La carte de répartition connue avant la prospection a été enrichie (fig.2). La réception des dates radiocarbones a permis depuis de confronter le matériel archéologique équato-guinéens aux ensembles culturels étudiés depuis 1985 dans les régions limitrophes et notamment au Gabon (Clist, 1995), ainsi qu'aux hypothèses avancées par la confrontation d'éléments historiques, des traditions orales et de linguistique historique (Vansina, 1991).

Figure 2: Carte de répartition des sites archéologiques de la Province du Littoral de Guinée-Equatoriale
et des sites archéologiques du Groupe d'Angondjé (tiretés).
Figure 2: Distribution map of archaeological sites of the Littoral province of Equatorial Guinea
and of archaeological sites of the Angondjé Group (dashes).

1. Akom 2. Ayene 3. Ayene - Fortin portugues 4. Bata 5. Bata - aéroport 6. Bata - plage de l'aéroport 7. Bidyung 8. Bomudi 9. Campamento Corisco 10. Clatrava 11. Cueva de Eneng (Avé Maria) 12. Elobey grande 13. Icunde 14. Isla Ibelo 15. Mbini 1 16. Mbini 2 17. Mbini 3 - mission catholique 18. Mbini 4 - plage 19. Midong 20. Ndama 21. Ndumu Nseng 22. Niefang 23. Nsang 24. Oveng Eseng 25. Punta Butika 26. Punta Yeke 27. Punta Yoni 28. Rio Ecucu 29. Rio Handye 30. Udinga 31. Ulato Corisco

Aujourd'hui, avec ce recul nécessaire dû aux travaux publiés depuis mes recherches de 1985, on peut dresser le bilan de nos connaissances de la province du Littoral. Quoique ne révolutionnant pas celles-ci, ce bilan permet cependant de bousculer certains modèles d'occupation des terroirs ainsi que des idées relatives aux migrations et occupations de l'île de Bioko (Vansina, 1991, pp.177-189).

2. Les données archéologiques

a) Les Ages de la Pierre.

Des pierres taillées ont été découvertes sur les gisements de Banapa, de Mongola et de Lopelo de l'île de Bioko. C'est au site de Banapa que des fouilles ont livrés une stratigraphie qui permet de placer avant toutes les industries céramiques de l'île de Bioko ces objets taillés sur un basalte (Martin del Molino, 1989). Seules la position stratigraphique et l'absence de poteries associées permettent d'imaginer une date anté-1BC. Une comparaison avec les sites de l'Age Récent de la Pierre du continent laisse penser qu'une date de c.2.000 BC n'est pas impossible. Aussi, en tenant compte des modèles de régression/transgression marine de la côte du Golfe de Guinée (Giresse, 1989), on constate que vers 6.000 BC il était toujours possible de traverser à pied sec du continent à l'île; si l'on admet que les "paléolithiques" ne connaissaient pas de moyen de transport maritime, alors ces sites ont 8.000 ans au minimum (Clist, 1991a).

Dans la Province du Littoral le site d'Akom à l'est de Bata a livré en surface d'une zone d'érosion une industrie sur quartz de taille microlithique (Clist, 1987). Sur l'île d'Elobey Grande d'autres pierres taillées sur quartz, silex et quartzite ont été collectées, en surface semble-t-il (Perramon, 1968). Ces traces de la présence de chasseurs-collecteurs doivent être mises en corrélation avec la chronologie de l'Age Récent de la Pierre établie au Gabon: ces sites sont à placer entre 8.000 et 3.000 bp (Clist, 1995).

Tableau 1: Dates 14C de Guinée-Equatoriale (échéance 1996)
Table 1: 14C dates from Equatorial-Guinea (1996 up to date)
N° lab.Date bpDate corrigéeSiteGroupe ou Tradition
CSIC-1021390+/- ?AD 560-770 CarbonerasCarboneras
Beta-255811370+/-60AD 560-790CarbonerasCarboneras
CSIC-1031360+/- ?AD 570-850CarbonerasCarboneras
CSIC-1001300+/- ?AD 650-880CarbonerasCarboneras
CSIC-1391290+/- ?AD 660-880CarbonerasCarboneras
Beta-255451280+/-50AD 665-870Carboneras Carboneras
SR-181270+/-100AD 625-980CarbonerasCarboneras
CSIC-991250+/- ?AD 660-950CarbonerasCarboneras
CSIC-961170+/- ?AD 710-1000CarbonerasCarboneras
Beta-255441110+/-60AD 790-1020CarbonerasCarboneras
SR-104930+/-100AD 890-1285BolaopiCarboneras
SR-105630+/-100AD 1210-1470BolaopiBuela
CSIC-97470+/- ?AD 1320-1630CarbonerasBuela / Bolaopi
Gif-8610760+/-40AD 1210-1300Akom?
Beta-17062620+/-60AD 1290-1420AyeneGroupe Angondjé ?

b) Le Néolithique.

Nos connaissances sont très lacunaires pour la Province du Littoral. Il va de soit que face aux importantes découvertes faites au sud-Cameroun et au Gabon voisins où de véritables groupes culturels sont aujourd'hui connus et datés (Clist, 1995), il était improbable de ne pas retrouver des gisements similaires en Guinée-Equatoriale qui fait la jonction géographique en quelque sorte entre la Tradition d'Obobogo (Cameroun) et la Tradition d'Okala (Gabon) (Clist, 1997).

En ce qui concerne l'île de Bioko, on se reportera à la séquence définie par les chercheurs espagnols (Martin del Molino et Panyella, voir bibliographie).

Sur le continent on ne connait que des polissoirs aux embouchures de rivières (Handje, Punta Yoni, Bata, Mikingchi, Ndjimelang) et deux gisements où des haches en pierre polie ont été ramassées en surface (Midong, Akom). La figure 2 donne la répartition spatiale des gisements mentionnés. Les habitats proprement dits restent à découvrir.

c) L'Age du Fer.

Le fer pour l'instant n'est pas attesté sur l'île de Bioko avant le XIXe siècle (Vansina, 1991). La séquence culturelle se poursuit de manière continue de AD 560 jusque ce moment.

On connaissait dans la Province du Littoral grâce aux travaux espagnols quelques sites archéologiques aux poteries richement décorées et aux styles diversifiés (Perramon, 1968).

Dans la région de Bata au nord de la Province, des communautés sont établies depuis 700 ans comme l'attestent les sondages du site d'Akom daté de AD 1210-1300 (fig.1 et tableau 1). Sur le plan de l'économie, une fosse à Akom a livré, outre des noix carbonisées de Elaeis guineensis, des noix carbonisées de l'arbre Coula edulis. Les mêmes noix ont été découvertes elles aussi en fouille au Gabon au site d'Oveng. Elles y sont datés de AD 150-600 (Clist, 1995). Les fosses d'Akom sont petites: en moyenne un diamètre d'ouverture de 0,6 mètre pour une profondeur de 1,1 mètres, leur remplissage est homogène avec des concentrations de matériel archéologique concrétisant des phases discrètes de comblement.

Mes travaux au long de la côte Atlantique ont montré l'intérêt d'une étude de sites d'habitat de l'Age du Fer de la Province du Littoral. En effet, comme au Gabon voisin, les niveaux archéologiques du dernier millénaire sont bien conservés dans les premiers décimètres des recouvrements. Des sondages à Punta Eviondo près de Bata (01°54'12"N., 09°47'54"E.), sur la plage et à la mission catholique de Mbini (01°35'N., 09°36'42"E.), à Bomudi (01°52'48"N., 09°48'36"E.) ont rencontré des niveaux archéologiques, enfouis jusque -45 centimètres pour certains (mission catholique de Mbini et Bomudi; Clist, 1987).

Pour Ayene sur la berge Nord de la ria du Muni, les tamisages d'échantillons de sédiments coquilliers en laboratoire n'ont pas permis de récolter de ossements de poissons ou d'autres faunes comme cela l'a été au gisement maintenant bien connu d'Oveng au Gabon (Van Neer et Clist, 1991). Sur le plan de la paléo-économie on notera dans les lentilles coquillières de rejets détritiques rencontrées sur les flancs du sommet la présence des espèces suivantes: Tympanotonus fuscatus fuscatus, Tympanotonus fuscatus radula, Ostrea tulipa, Thais nodosa. Il est intéressant de noter que ce sont les mêmes espèces qui ont été collectées sur les sites gabonais contemporains du Groupe d'Angondjé. Aujourd'hui, il est frappant de constater que la production dans le sud de cette Province, c'est-à-dire le Rio Muni ainsi que les îles Elobey, située partiellement dans le temps par mes sondages à Ayene vers AD 1290-1420 est étrangement similaire à la production du Groupe d'Angondjé du nord-ouest du Gabon (Clist, 1995). Il est possible à la suite de mes récentes analyses d'associer ces sites équato-guinéens aux sites gabonais contemporains. La filiation se matérialise par les mêmes fonds annulaires, les mêmes perles en terre cuite, les mêmes unités décoratives, les mêmes formes de cols et de lèvres des récipients, les mêmes boutons de préhension de couvercle décorés, ainsi que par la consommation des mêmes mollusques. La chronologie vient elle aussi conforter la parenté typologique esquissée: les sites du Groupe d'Agondjé sont datés de AD 1000-1500 (Clist, 1995 et fig.1).

Ces rapprochements entre la Guinée-Equatoriale sont renforcés par l'étude de la production du Groupe dit IIdu nord-ouest du Gabon. Chronologiquement antérieur au Groupe Angondjé, il est daté de AD 600-1000. Certains récipients caractéristiques découverts dans des tombes sont étroitement apparentés à des poteries découvertes par Martin del Molino sur l'île de Bioko (1965, fig.10B1) et d'autre part, les dates de Guinée sont synchrones de celles obtenues au Gabon (Peyrot, Clist et Oslisly, 1990). Cependant, le reste de la production de l'île de Bioko ne peut être rapproché de celle du Groupe dit II du Gabon.

3. Les interprétations historiques

Je l'ai mentionné plus avant, il est improbable que la séquence culturelle allant de l'Age Récent de la Pierre au Néolithique inclus et qui reste à faire sortir de la terre de la Province du Littoral soit différente de celle esquissée au Cameroun au nord, et affinée au Gabon au sud.

A l'Age du Fer cependant, les données archéologiques permettent d'avancer des contacts entre AD 600 et 1000 entre la côte nord-ouest du Gabon et l'île de Bioko.

D'autre part, le sud de la Province du Littoral entretient avec le nord-ouest du Gabon à la période suivante - AD 1000-1500 - des contacts étroits; qui se matérialisent par la même production d'objets sur les gisements du pourtour du Muni et des îles Elobey et l'utilisation identique des écosystèmes de mangroves: ils participent au Groupe d'Angondjé qui vient d'être singulariser en 1994 et 1995.

C'est justement à cette époque que l'on place la "grande migration" des traditions orales de l'ethnie bubi habitant à l'origine cette île. Cette migration aurait été constituée de quatre vagues d'immigrants pénétrant dans l'île par ses côtes sud et sud-est (Vansina, 1991).

L'absence de parenté entre le matériel du Groupe Angondjé et de la Tradition Bolaopi (AD 1200-1500) ainsi que les 250 kilomètres à vol d'oiseau entre l'île et cette région de la côte (cfr.fig.1) ne permettent pas d'imaginer des immigrants issus de cette région du littoral. Il faudrait plutôt faire venir ceux-ci de la côte camerounaise. Malheureusement à ce jour l'archéologie ne s'est pas intéressée à cette côte.

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